En guise d’introduction générale

 

Permettez d'abord que je me présente et vous dise un mot de ce nouveau cours. Français de France et, par déformation professionnelle, mâtiné sans doute d'un brin de chauvinisme, j'enseigne à cette université depuis plus de trois décennies le français décliné sous toutes ses formes ou, dit plus modestement, le peu qu'il en reste. Je ne m'attarderai pas cependant sur son déclin, ici comme ailleurs, tant il est vrai que le poids d'une langue ne se mesure pas à l'aune du nombre de ses apprenants.

 

Je me propose donc de vous aider, avec la rigueur qui sied à un cours de maîtrise, à mieux comprendre la France de l'an 2000; rigueur sans doute mitigée par le défi d'un cours offert en-ligne, pour lequel il vous sera demandé non seulement de plancher, pour utiliser la langue estudiantine, mais aussi de surfer (surfer, traduction obligée de "surfing") et où l'interaction se fera obligatoirement par voie écrite, agrémentée, je l'espère, de ces présentations vidéo, ou audio le cas échéant, destinées d'une part à humaniser l'incontournable écran de votre ordinateur mais aussi à introduire les thèmes retenus ou à souligner certains points qui méritent de l’être.

 

Ce cours de culture et de civilisation française contemporaine, destiné d’abord à des étudiants de maîtrise mais tout autant à des enseignants du secondaire souhaitant rafraîchir leurs connaissances, a donc l'ambition d'élargir et d'approfondir le cours souvent enseigné durant la troisième année du cursus universitaire, où l'on a l'habitude d'accentuer l'héritage culturel de la France, ceci en raison de son incontestable contribution à la culture occidentale, que ce soit dans le domaine de l'art ou de la gastronomie, de la littérature ou de la morale. Il en reste peut-être dans vos mémoires les clichés d'une France surannée aux 340 variétés de fromages et aux 12000 monuments classés, ces forteresses de la culture que visitent chaque année quelque 60.000 touristes.

 

J'ai en mains l'excellent petit ouvrage des Presses Pocket, publié en 1991 et intitulé - anglais oblige - même dans la sacro-sainte langue de Molière, Score civilisation française, 100 tests pour mieux connaître l'Hexagone, qui nous servira d'aide-mémoire ou, dit autrement, de vade-mecum du latin de mes humanités, et qui vous montre en couverture, sous l'attrait ludique qui justifie son titre, une mosaïque de 15 images.

 

Or, dans un sens, ces illustrations sont bien celles de la France d'aujourd'hui, au passé de gloire et à la pointe du progrès. Ainsi vous y reconnaîtrez aisément la pyramide du Louvre inaugurée en 1989, exemple de l'audacieux mélange de tradition et de modernité. Le Mont St-Michel, le monument le plus visité de France, et le Centre Pompidou, dit Beaubourg, avant son "facelift" - devrais-je dire son "lissage" pour l'an 2000? lequel rassemble dans un seul espace un grand musée d'art moderne, une grande bibliothèque d'information publique et un grand centre de recherche musicale. Vous y reconnaissez aussi deux "grands" (entre guillemets) de l'histoire de France: Louis XIV et Charles de Gaulle, quoique le premier, tout en symbolisant l'apogée de la civilisation française, ne fût point un grand roi, car certainement il abusa de son autorité et de sa puissance. Quant au second, convaincu qu'il était du destin historique de "la vieille France," il nous la décrit à la fin de ses mémoires dans sa langue superbe comme "écrasée par l'Histoire, meurtrie par les guerres et les révolutions, passant sans cesse de la grandeur au déclin et du déclin à la grandeur," mais, ajoute-t-il comme inspiré, "régénérée siècle après siècle par le génie du renouveau."  

 

Anticipant sur ce que je vais bientôt vous dire, c'est donc une "Nouvelle France" que j'aimerais vous faire découvrir, laquelle peut tout autant se vanter aujourd'hui de son savoir-faire que de son réputé savoir-vivre, même si ce nouveau visage cache encore certaines tares, que ce soit, malgré ses déclarations haut proclamées de "Liberté, égalité, fraternité," son racisme latent ou la déprime des cités ghettos si bien illustrée dans le film de Kassovitz, qui a pour titre La Haine, même si - ce qu'on semble ignorer - un Français sur cinq compte au moins un parent ou un grand-parent immigré, et même si la victoire des Bleus lors de la Coupe du monde de football nous montrait le visage d'une France métissée et d'un pays qui a su, je cite L'Express, "dépasser les barrières de classes, de race, d'éducation," victoire renouvelée lors de L'Euro 2000, faisant du joueur Marseillais Zinédine Zidane, dont le père est venu de Kabylie, le “héros total” des Français.

 

A propos de héros, il est sur cette image une autre figure facilement reconnaissable, petit guerrier à l'esprit malin, s'obstinant à résister contre l'envahisseur romain et dont l'invincible force émane non de séances de musculation mais de la potion magique du druide Panoramix. Vous aurez reconnu le célèbre personnage d'Astérix, dont les premières aventures remontent à quarante ans, mais qui trouvait, il n'y a pas si longtemps, un nouvel avatar dans le paysan moustachu, éleveur de brebis, José Bové, parti en guerre contre l' "impérialisme américain," les MacDo, la malbouffe et la mondialisation. Ceci pour annoncer un autre volet de notre étude, à savoir celui de l'écart toujours existant entre nos deux pays et leurs deux conceptions de la vie moderne, l'américaine, plus libre, plus violente, dévoratrice du passé, et la française, plus ordonnée, cérémonieuse et respectueuse de l'histoire.

 

 Quant au savoir-faire français auquel je faisais référence, vous voyez sur cette même illustration trois exemples de sa technologie de pointe: le TGV, la fusée Ariane et le Concorde, même si ce dernier fut un désastre financier, mais dont l'initiative franco-britannique a permis avec le concours d'autres partenaires européens le succès jaloux de l'Airbus. Et sans doute qu'il faudra souligner que la France est aujourd'hui leader mondial dans le domaine des transports, en aérospatiale, en télécommunications et en ingéniérie civile, exemplifiée par le grandiose nouveau pont de Normandie et le tunnel sous la Manche. Avec de tels atouts, le pays est bien placé pour bénéficier de l'embellie cyclique, ou ce"génie du renouveau," dont parlait De Gaulle et qui galvanise en ce moment toutes les économies européennes.

 

Changeant de domaine, vous reconnaissez sur cette même image Molière, Charles Trenet et Brigitte Bardot. La Bardot de Dieu créa la femme des années 50 et plus tard de celle au bonnet phrygien et au "wet T-shirt look", - deux mots sur les trois font désormais partie de notre langue! - donc de la Marianne, symbole de la République, à laquelle succèderont Catherine Deneuve, Mireille Mathieu, Inès de la Fressange, et qui est incarnée aujourd'hui par la belle et pulpeuse Laeticia Casta, mannequin et actrice, originaire de l'île de beauté.

 

Soit dit en passant à propos de l'histoire du cinéma français, c'est en tant que "femmes-objets," pour ne pas dire "sex-symbols," que les Bardot et autres surent s'imposer auprès de leurs partenaires masculins. Il faudra souligner aussi à ce propos dans ce pays à tradition misogyniste le grand pas fait récemment par le gouvernement français pour la parité hommes-femmes dans la vie politique.

 

Il me reste une dernière image à commenter, illustration ce qu'on appelle le "paradoxe français" et de celui de son mieux-vivre, à savoir les bouteilles des grands crus de vin du Médoc et ou de Saint-Emilion, destinées en grande partie à l'exportation. Il faut croire que l'on peut vivre sans vin, mais moins bien! Il a même été dit que c'est le vin de la convivialité qui avait ouvert la route de la conquête de la Gaule aux légions romaines. Il nous faudra corriger, cependant, l'image-clichée d'une Gironde "Capitale mondiale du vin" par celle que titrait tout récemment Le Monde: "Bordeaux rêve de devenir la 'Silicon Valley de l'Atlantique' "

 

Je parlais donc il y a quelques instants de "Nouvelle France", titre qui pourrait se référer au livre d'Emmanuel Todd du même nom, paru en 1988 avec une nouvelle édition scolaire en 1990, quoique ce dernier soit traduit sous le titre de "The Making of Modern France," mais il s'agit en fait du dossier spécial sur la France que publiait le 12 juin 2000 Time Europe, intitulé précisément dans sa version française, remarquable par l'élégance de sa traduction, la Nouvelle France, où il nous est longuement expliqué que cette dernière,  afin de relever le défi de la mondialisation, subit de nouveau une révolution, mais que cette fois-ci ce sont les notions de centralisme, de dirigisme et de socialisme étatique, traditionnellement les bastions de "l'exception française," qui sont remises en question, pour être remplacées par les privatisations, la décentralisation et l'esprit d'entrepreneur. L'Internet, nous informe-t-on, est en train de changer la manière dont les Français font les affaires, et j'ajoute  - on se console comme on peu - que 18,4% des internautes français ont plus de 50 ans!

 

Il nous est démontré également qu'après des décennies d'immigration, la société française évolue vers une mosaïque multi-culturelle, que Paris n'est plus le nombril de la République, car la forte croissance régionale crée de dynamiques nouveaux centres culturels et économiques, à savoir ces technopoles que l'on trouve maintenant dans les quatre cinquièmes des régions, de Brest à Bastia et de Pau à Strasbourg. Vive l'Internet donc qui vous permettra en guise d'introduction à ce cours de prendre connaissance à loisir de ces textes numériques, qui ont pour titres: La Nouvelle Révolution Française, L'exode français, Une France plurielle, Vive les Régions, et dont je vous donne ici la référence. http://www.time.com/time/europe/specials/webfrance/frcoverfrance.html

 

Je disais en commençant que je souhaitais que vous mettiez à ce cours en-ligne, donc souple de par sa formule même, la rigueur qui sied au sérieux du travail qui vous est demandé. Vous le savez peut-être: la subtile langue française fait la distinction entre ces deux formules de politesse: "je vous demande de bien vouloir" et "je vous demande de vouloir bien." Vous aurez deviné que c'est la seconde, marquée par la discrète insistance de la place de l'adverbe, que j'entends utiliser ici. Et d'avance, pour la confiance que vous me faites et pour l'intérêt que vous porterez à ce cours, je vous remercie.