L’Europe
et la culture
RAPPORT
D’INFORMATION 213 (2000-2001) –
DELEGATION
DU SENAT POUR L’UNION EUROPEENNE
http://www.senat.fr/rap/r00-213/r00-213_mono.html#toc59
CONCLUSION : LA CULTURE
EST UNE FORCE
Le 2
février 2000, devant le Parlement européen, Mme Viviane Reding,
commissaire en charge de la Culture déclarait : “ la
situation budgétaire n’est pas à la hauteur de nos
ambitions “ et ajoutait un peu plus loin : “ Si
l’Union est faite uniquement d’économique, elle est morte
née. “
Ce
double constat résume parfaitement la contradiction dans laquelle est
enfermée la notion d’une culture européenne qui
relèverait de la politique. De fait, la création culturelle ne se
décrète pas. Elle est spontanée, imprévisible, bref
affaire privée. La planifier serait l’étouffer et
méconnaître la diversité d’une culture qui en Europe,
depuis la Renaissance, s’est diffractée à travers les
langues et les tempéraments nationaux. Aussi bien, n’est-ce ni le
danger ni, a fortiori, l’ambition de la politique culturelle que
l’Union tente aujourd’hui de conduire. Le défi qu’elle
doit relever est bien différent. Il consiste à créer le
contexte technique, juridique, économique qui répond aux
conditions qui sont celles de la culture du XXIe siècle. Celle-ci ne
s’adresse plus en effet à une élite comme autrefois mais
à un marché devenu planétaire.
C’est
en aval et non plus en amont, au niveau non de la création mais de la
diffusion de ses oeuvres que se joue l’avenir de la culture
européenne. Et là le problème est double. Il faut
d’une part ouvrir les unes aux autres des cultures qui, très
marquées par le fait national, restent cloisonnées et
d’autre part, grâce à la maîtrise des nouvelles
technologies de la communication, permettre à la culture de
l’Europe de rayonner par delà ses frontières.
Cela
dépend à la fois de l’harmonisation technique et juridique
des politiques des Etats membres de l’Union et de l’ampleur des
moyens financiers qui l’accompagneront.
Il s’agit
donc bel et bien, on le voit, d’un projet politique. Et il y a des
précédents. C’est lui qui a présidé à
la création d’une monnaie unique. C’est lui qui dans le
domaine militaire a été à l’origine de la
réorganisation concertée de l’industrie d’armement ou
de la mise en place d’une force commune d’intervention rapide. Il doit en être de même de
la culture. Car celle-ci n’est plus seulement affaire privée. Elle
est aujourd’hui une force.
Si l’Europe continuait d’ignorer ce que les Etats-Unis ont
si bien compris, elle mettrait en péril la place qu’elle entend
tenir dans le monde de demain.
EXAMEN DU RAPPORT PAR LA
DELEGATION
La
délégation s’est réunie le mercredi 31 janvier 2001
pour l’examen du présent rapport.
M.
Hubert Haenel :
Merci,
cher collègue, pour ce plaidoyer. Vous concluez en disant que la culture
est une force, mais est-ce une force de l’Europe ? La question reste
posée. Vous avez dressé un état des lieux
préoccupant avec une déferlante de la culture d’origine
américaine et vous avez esquissé ce que devrait être
l’action de l’Europe en matière culturelle.
M.
Xavier de Villepin :
J’ai
été extrêmement intéressé par votre rapport,
mais assez perplexe sur les propositions. Je pense, en effet, qu’il ne
faut pas centraliser, et donc politiser, la culture, à l’image du
modèle français. Ne faudrait-il pas confier ce domaine à
des professionnels, plutôt qu’à des politiques ? Je
pense notamment à des intellectuels ou à des personnalités
comme des académiciens, des écrivains ou des historiens connus.
Je ne crois pas, en effet, que l’image donnée par certains
ministres de la culture française soit positive.
M.
Maurice Blin :
Je
partage vos craintes à l’égard d’une politique
culturelle centralisée. Il ne convient pas de prendre pour modèle
la “ politique culturelle à la française “
dont l’exemplarité est sujette à caution et
contestée en Europe. Mais on constate qu’en Europe l’homme
de culture ne se salit pas les mains. Il est resté par vocation, par
essence, étranger au monde des affaires. A titre de comparaison, on peut
citer le cas de la recherche. Notre collègue Denis Badré
rappelait récemment que les universitaires américains
contribuaient à la recherche privée, alors qu’en Europe les
deux mondes restent cloisonnés. La distinction typiquement
européenne entre la culture et le marché reproduit celle entre le
spirituel et le temporel qui a si fortement marqué son histoire. Or,
avec l’arrivée massive de produits culturels d’origine
américaine, cette distinction tend à s’effacer. Cette conjonction de la culture et du
marché, de l’art et de l’argent, est en tout point contraire
à la tradition la plus ancienne et la plus profonde de l’Europe.
Pourra-t-elle relever ce défi ? Ou, pour dire la chose autrement,
l’Europe pourra-t-elle produire une forme de culture radicalement
nouvelle qui lui fasse sa place sans se trahir ? La difficulté
vient de ce que l’oeuvre culturelle doit s’adresser
désormais à un public planétaire.
M.
Xavier de Villepin :
Un
homme comme André Malraux était porteur d’un tel message.
M.
Maurice Blin :
C’est
vrai, mais aujourd’hui y a-t-il encore des artistes européens
porteurs d’un message universel ? On pourrait donner l’exemple
du film “ La vie est belle “ de Roberto Begnini, mais y
en a-t-il beaucoup ?
M.
Lucien Lanier :
Je
ne suis pas tout à fait d’accord avec l’idée de
M. Xavier de Villepin de confier la culture à des personnes
“ cultivées “. Si on prend l’exemple de la
recherche scientifique, l’expérience m’a appris que la
politique de la recherche ne devait surtout pas être confiée
à des scientifiques. Comme vous le soulignez, la culture
européenne se heurte à deux difficultés. La
première, c’est qu’elle reste cloisonnée entre les
particularités nationales. La seconde tient à la
difficulté de s’adapter au monde d’aujourd’hui. Or,
nous avons été formés à une culture
“ classique “, littéraire. Aujourd’hui, la
culture devient de plus en plus scientifique. J’ajouterai une
troisième difficulté : comment parler d’une culture
européenne sans y inclure l’immense culture russe ? Il
faudrait trouver un moyen d’associer la culture des Etats
européens ne faisant pas partie de l’Union européenne. Je
considère qu’il est nécessaire que la Commission
européenne mène une réflexion générale sur
la culture car celle-ci, comme la solidarité ou la défense, est
indissociable de la construction européenne.
M.
Pierre Fauchon :
La
question de la culture est protéiforme. Je voudrais rappeler que les
ballets de Lully ou les opéras de Monteverdi n’attiraient pas
beaucoup de public à leur époque. Je crois que la culture est
indiscutablement élitiste. Certes, il existe aujourd’hui des
moyens de diffusion de masse. Mais il a toujours existé une distinction
entre la culture élitiste et la culture populaire, entre l’opéra
et le folklore. On regarde toujours avec admiration les peintures de Vermeer,
alors qu’il y avait certainement des peintres plus connus à son
époque. Je suis entièrement d’accord avec vous sur la place
de la musique, qui reste d’une grande vitalité en Europe, y
compris dans la création. J’ai assisté récemment
à la retransmission du requiem de Verdi, joué par
l’orchestre philarmonique de Berlin, dirigé par un Italien,
Claudio Abado, avec des choeurs suédois et des solistes de différentes
nationalités. J’ai trouvé que, de ce point de vue, la
culture européenne ne se portait pas si mal. On pourrait citer
également la danse.
A
l’égard d’une “ politique
culturelle “, je suis extrêmement réticent, car je
crains un dirigisme culturel si elle était gérée par des
technocrates. Et je crains plus les technocrates du secteur de la culture que
les autres, à l’image des FRAC (Fonds régionaux pour
l’Art contemporain) largement soumis aux lobbies. J’ai moi-même eu l’expérience
de la création d’un musée sur les croisades dans mon
département, financé en partie par les fonds structurels, alors
qu’obtenir des financements par des programmes culturels européens
m’a paru impossible. Je suis donc plutôt favorable aux fonds
structurels consacrés à la culture, plutôt
qu’à une “ politique culturelle “
européenne. Par contre, si
je reste réticent à l’égard des aides à la
création, je crois beaucoup aux efforts en matière de
notoriété par la remise de prix et à la formation. Enfin, la culture européenne se
manifeste par sa diversité. On peut donner l’exemple des cités
de l’Italie de la Renaissance.
M.
Maurice Blin :
Je
pense, en effet, qu’il ne faut pas aller vers un centralisme culturel
européen. Mais des actions culturelles sont indispensables face à
la prépondérance américaine. Cela passe, par exemple, par
la rédaction d’un manuel d’histoire européenne commun
aux Européens. Peut-être pourrait-on instituer également
une Académie européenne, un cénacle des artistes
européens, à l’image de l’Académie
française ?
L’Europe se caractérise par sa diversité culturelle.
Mais si elle ne prend pas conscience que sa singularité est
menacée comme les Curiaces face aux Horaces, elle deviendra incapable de
l’exprimer dans l’art. Or ce fut là, depuis dix
siècles, l’une de ses forces.
M.
Lucien Lanier :
Je
voudrais rappeler qu’il n’y aura de culture européenne que
s’il existe une langue véhiculaire. Or, la langue française
a été très mal défendue par les spécialistes
face à l’anglais.