Mille ans qui ont fait la France
Alors que la France s'apprête à
célébrer avec éclat l'avènement de l'an 2000, cet
anniversaire invite naturellement à faire un retour en arrière
sur le dernier millénaire de sa riche histoire. Quelles
personnalités et quels événements clés des mille
ans passés ont contribué à placer la France sur la carte
du monde?
Malgré les guerres fréquentes qui ravagent le
royaume, au cours des siècles, les rois de France ont réussi
à maintenir une dynastie forte et à porter les limites du royaume
jusqu'à ses frontières naturelles.
Dix siècles, quarante rois, une seule dynastie! Peu de pays
ont connu la remarquable continuité de la dynastie capétienne,
celle des descendants d' Hugues Capet (987-996), grâce
à laquelle la France a été construite morceau par morceau
jusqu'à l'actuelle nation des Français. A quoi tient la force de
la dynastie capétienne? Avant tout, à la transmission du titre de
roi au fils aîné. Sa force ne tiendrait-elle qu'à cela,
cela suffirait à expliquer sa supériorité sur les
lignées précédentes, mérovingienne et
carolingienne, qui durent leur déclin au partage de la couronne,
considérée par elles comme un bien privé divisible entre
enfants. Pour les Capétiens au contraire, ce n'était pas le
royaume qui appartenait à la dynastie mais la dynastie au royaume. Une
autre caractéristique des Capétiens est leur lucidité de
dernière heure. Dans presque tous les cas, le roi mourant a pu
s'expliquer sur son règne et donner des conseils à son
successeur.
Le premier d'entre eux, celui qui a donné son nom à
la dynastie est Hugues Capet, qui se distingue des autres grands
seigneurs de son temps par ses qualités d'homme d'État: vision,
connaissance des hommes, sens politique, diplomatie et maîtrise de soi.
Il a plus de 40 ans lorsque, par consentement unanime des Grands du royaume et
avec l'aide de l'archevêque de Reims, Adalbéron, il accède
au trône, le 3 juillet 987. Son royaume s'étend alors
entre la Somme, la Seine et la Loire. Hugues Capet sera le premier maillon
d'une prestigieuse chaîne royale.
Qui aurait pu penser, lorsque la couronne fut posée sur sa
tête, qu'elle allait être recueillie par ses descendants de
père en fils pendant des siècles? Pourtant, que tel ait
été le vœu le plus cher d'Hugues ne fait aucun doute puisqu'en
s'assurant de faire couronner roi son fils aîné Robert le Pieux (996-1031),
il prit soin de substituer dans les faits le principe
d'hérédité au principe d'élection auquel
lui-même devait son trône.
Le petit-fils de Robert le Pieux, Louis VI (1108-1137),
nous est assez bien connu car son ami très proche, Suger, alors
abbé de Saint-Denis, nous a laissé une biographie qui le montre
sous un jour plutôt favorable. C'est une tâche rude que doit
affronter Louis VI très jeune. N'a-t-il pas pour voisin le duc de
Normandie (le fils de Guillaume le Conquérant), également roi
d'Angleterre?
Avant de mourir, Louis VI marie son fils, Louis VII
(1137-1180), à la riche héritière d'Aquitaine, la belle
Aliénor. Du coup, le roi contrôle tout le sud-ouest de la France.
Si l'on reproche à Louis VII d'avoir laissé partir Aliénor
et ses territoires lors de son divorce, Louis saura néanmoins exploiter
habilement à son avantage les dissensions dans la famille d'Angleterre.
Deux piliers de la dynastie capétienne: Philippe-Auguste
et saint Louis
Le fils de Louis VII, Philippe-Auguste
(1180-1223), le plus connu des premiers Capétiens, n'hésite pas
à se dresser devant les Plantagenêt. Philippe-Auguste est un homme
qui a de la chance. N'est-ce pas heureux pour lui qu'une flèche
décochée par un arbalétrier le débarrasse de son
pire ennemi, Richard Cœur-de-Lion? Il n'est pas moins chanceux lorsque la
brutalité du frère de Richard, Jean sans Terre, élimine
Arthur de Bretagne, ce qui lui permet de mettre la main sur cette province.
L'année 1214 marque une date importante pour la dynastie
capétienne: la victoire que Philippe-Auguste remporte à Bouvines
sur les armées coalisées de Jean sans Terre fait figure de
première victoire nationale qui réunit tous les
éléments de France, chevalerie, clergé, paysannerie et
habitants des communes. A la suite de Bouvines, le roi s'empare de Rouen et
porte les limites de son royaume jusqu'à la Manche.
La mort prématurée du roi Louis VIII
(1223-1226), fils de Philippe-Auguste, représente une des heures les
plus critiques de l'histoire capétienne. Le nouveau roi, le futur saint
Louis (Louis IX qui règne de 1226-1270) n'étant qu'un enfant, les
grands seigneurs du royaume en profitent pour se rebeller contre sa
mère, la régente Blanche de Castille. Mais Blanche, en digne
petite-fille d'Aliénor d'Aquitaine, n'est pas femme à s'en
laisser conter! Elle se jette à corps perdu dans la lutte pour sauver le
trône de son fils Louis, réduit les rebelles et réussit adroitement
à marier son fils cadet Alphonse à l'héritière du
duc Raymond de Toulouse. A la mort du duc, le Midi passe à la couronne
de France.
C'est ainsi que de la crise qui menaçait de
l'éteindre, la monarchie émerge plus forte que jamais. Le
règne de saint Louis, qui connaît l'apogée de l'art gothique,
apparaît comme un âge d'or de la civilisation française, une
renaissance avant la Renaissance.
L'heure des désastres et des trahisons
Les opinions diffèrent sur Philippe IV le Bel
(1284-1314), petit-fils de saint Louis, mais elles s'accordent sur l'importance
de son règne. La France qu'il gouverne n'est plus celle de ses
prédécesseurs car diverses alliances lui ont apporté des
territoires jouxtant les Alpes, ce qui provoque la résistance des
féodaux. Les guerres qu'il mène pour soumettre les insurgés
le poussent à puiser dans le Trésor royal, à tel point que
sa quête sans fin de revenus l'amène en conflit direct avec
l'Église. Ironie de l'Histoire: la dynastie capétienne qui devait
tout à l'Église est maintenant sa pire ennemie!
La branche aînée des Capétiens
s'éteignant avec le fils de Philippe, Charles le Bel, mort sans
héritier mâle, c'est la branche cadette des Valois qui reprend le
flambeau. Durant les 14e et 15e siècles, le royaume est
profondément affaibli par la guerre de Cent Ans, la Peste Noire, les
défaites par les Anglais de l'armée française à
Crécy en 1346, à Poitiers en 1356, à Azincourt en 1415,
Paris aux mains des Anglais, les assassinats du duc d'Orléans, du duc de
Bourgogne qui déclenchent la guerre civile. La courte
épopée de Jeanne d'Arc (de 1429 à 1431) symbolise la
participation populaire à la guerre de libération d'un occupant
étranger.
Le royaume de France ne commence alors qu'au sud d'Orléans
et l'héritier de la couronne, Charles (le futur Charles VII) n'est que
"le petit roi de Bourges". Il appartient à son fils, Louis
XI (1461-1483) de reconstituer la France en rattachant en 1482 la
Bourgogne au royaume et en se rendant maître des territoires à
l'ouest jusqu'à l'Atlantique. Le mariage de son fils Charles VIII (1483-1498)
à la duchesse Anne de Bretagne fait basculer cette province dans la
corbeille de mariage en 1491. Il aura fallu les cinq premiers siècles de
ce millénaire pour constituer un royaume d'un seul tenant.
Désormais, les rois de France peuvent regarder au-delà de leurs
propres frontières.
Le royaume mis à feu et à sang par les guerres
de Religion
Les rois Charles VIII et Louis XII
étaient morts sans héritier? Qu'importe. La dynastie n'en est pas
interrompue pour autant! On fait appel à la branche collatérale
des Valois d'Angoulême en choisissant François d'Angoulême,
qui deviendra François Ier (1515-1547). Si ce roi incarne à
merveille l'esprit de la Renaissance, c'est parce qu'il est "le
père des arts" et ne s'est pas contenté de protéger
les artistes: il en a fait ses amis.
Il n'en oublie pas pour autant ses responsabilités royales
et sait maintenir solidement la place de la France dans le mouvement
européen qui se dessine. Sa vie durant, il défend ses
frontières contre les visées des "Impériaux",
les Habsbourg d'Espagne et d'Autriche, et a pour but d'opposer à leur
idée d'empire, désormais révolue, l'idée de
royaume, c'est-à-dire la notion de nationalité.
Les guerres de Religion qui déciment la France
durant la deuxième moitié du 16e siècle portent un coup
terrible à la royauté, qui passe 50 ans dans les ravages et les
déchirement de la guerre civile. Avec la montée du protestantisme, le principe
même de la monarchie - traditionnellement catholique - est remis en
question: la loyauté des sujets à l'égard de leur
souverain se confond-elle avec le fait de pratiquer la même religion que
lui? En 1572, le massacre de la Saint-Barthélémy ordonné
par le roi, s'il décime les rangs des chefs huguenots, porte
néanmoins un coup terrible à l'éclat de la monarchie.
Le dernier de la branche des Valois, le très
calomnié Henri III (1574-1589), est un meilleur
politique qu'on le dit souvent. Il se dépense pour essayer de faire
comprendre l'idée de tolérance à son pays en proie
à l'anarchie. C'est lui qui le premier conçut l'idée de
l'Édit de Nantes, qu' Henri IV (Bourbon) se chargera de faire appliquer.
Henri III a parfaitement compris que la seule issue ne pouvait être que
la réunion des deux possibilités ouvertes alors à la
France: le passé représenté par les Valois et l'avenir par
les Bourbon. Si, à ce moment de l'histoire de France, Valois et Bourbon
n'avaient pas fait la soudure, nul doute que le pays eût
été partagé entre Espagnols et Anglais.
Henri IV (1589-1610), le successeur qu'Henri III s'est
choisi, est l'homme politique par excellence. Tâche difficile que celle
qui l'attend. Ne doit-il pas prendre en mains non pas deux moitiés de la
France, mais des quantités de morceaux épars qui créent
des divisions partout? C'est à grand-peine qu'il impose l' Édit
de Nantes en 1598, qui assure la liberté du culte pour les protestants et met
fin à plus de trente ans de guerres.
A coups de batailles, Henri IV, le protestant, doit
reconquérir une à une les provinces catholiques qui lui
étaient hostiles: la Bourgogne, la Provence, la Bretagne. Mais son
autoritarisme contrarie l'ambition de maints hauts personnages: le 14 mai 1610,
l'assassinat du roi par Ravaillac relève davantage d'un acte politique
que de la folie d'un illuminé.
Le petit-fils d'Henri IV, Louis XIV (1643-1715),
qui hérite d'un royaume récemment secoué par les
activités de la Fronde, consolide la paix avec l'Espagne en signant la
Paix des Pyrénées en 1659 et en épousant
l'héritière espagnole, Marie-Thérèse. En 1661, il
se débarrasse du dernier obstacle à son pouvoir personnel en
faisant incarcérer Nicolas Fouquet, surintendant des Finances dont la
richesse et le pouvoir lui portaient ombrage.
On pouvait alors espérer un grand règne glorieux
dans un pays où les sujets catholiques et protestants semblaient enfin
réconciliés. Mais la Révocation de l'Édit de
Nantes en 1685 sonne l'alarme: privés d'existence légale, les
huguenots font l'objet de persécutions pendant un siècle encore.
Si Louis XIV ne fut pas un grand roi, car il abusa de son autorité et de
sa puissance, malgré tout, il fut l'homme de l'apogée de la
civilisation française.
Couchant de la monarchie
Son successeur, Louis XV (1715-1774), est trop occupé
à faire la guerre pour se soucier de faire appliquer de
nécessaires réformes intérieures. Il agrandit
néanmoins la France de la Lorraine en 1766 et de la Corse en 1768, mais
il connaît de cuisantes défaites et perd les Indes, la Louisiane
et le Canada.
Louis XVI (1774-1791), pour sa part, crée l'une des
plus grandes marines que le pays ait connues, et apporte son appui à
l'indépendance des États-Unis. Mais sa faiblesse de
caractère et ses nombreuses maladresses entraînent la
Révolution de 1789, qui marque certainement une date majeure dans un
pays jusque-là soumis à la monarchie. Lorsque le 21 janvier 1793,
la guillotine mettait fin aux jours de Louis XVI, pour la première fois,
le fil de la dynastie capétienne était tranché.
Après la Révolution, tous les
régimes politiques ont été tentés: Consulat, Empire, République, et
même de nouveau la Monarchie. A la suite de l'intermède Napoléon
Ier (1798-1815) qui se termine à Waterloo, il y aura la parade
de la branche des Bourbon interrompue par la révolution de 1830. Une
troisième révolution, celle de 1848, met fin au règne du
dernier Capétien, Louis-Philippe, dont l'ancêtre est le
duc d'Orléans, le propre frère de Louis XIV, et aboutit sur un
nouvel essai d'Empire qui projette un autre Napoléon, Napoléon
III (1851-1870), à l'avant-scène de la France
après le coup d'État du 2 décembre 1851. Napoléon
III fit entrer le pays dans la révolution industrielle et l'enrichit en
1860 de Nice et de la Savoie.
En 1871, après la chute de Napoléon III, le ministre
Adolphe Thiers instaure la Troisième République,
régime parlementaire où le Sénat modère la Chambre
des députés élus au suffrage universel direct. De 1894
à 1898, l'affaire Dreyfus cristallise les différences
entre la France catholique conservatrice et la France laïque
libérale.
La guerre de 1914-1918 unit dans les valeurs patriotiques tous
partis et toutes opinions, et l'Armistice du 11 novembre 1918, suivi par la
Paix de Versailles, annoncent une trêve pour la Troisième
République. L'entrée en guerre de la France en 1939 contre
l'Allemagne nazie se solde par la défaite de Sedan en mai 1940. La
France connaît une occupation totale à partir de 1942. Refusant de
se soumettre, le général de Gaulle (1890-1970)
lance à la radio de Londres son célèbre "appel du 18
juin" invitant les Français à poursuivre le combat.
Après sa libération en 1944, la France connaît
une Quatrième République de courte durée,
puisque la crise d'Algérie à partir de 1954 appelle au pouvoir le
général de Gaulle et crée une nouvelle république, la
Cinquième, qui engage le pays dans une politique de décolonisation et
d'indépendance militaire.
La révolte populaire de 1968 entraîne le
départ de de Gaulle, sans toutefois mettre en danger des institutions
permettant les alternances politiques: en 1969, Pompidou est élu
président, suivi en 1974 par Giscard d'Estaing et, de 1981 à
1994, par François Mitterrand. Il appartient maintenant au
président Jacques Chirac de faire entrer la France dans le
deuxième millénaire de son histoire. Lorsqu'elle
célébrera le 1er janvier de l'an 2000, la France devra mettre
à profit cet événement pour réfléchir, s'instruire
et surtout s'interroger sur ce que sera ou devra être l'avenir de son
identité.
© Par Anne Prah-Perochon