La France d’aujourd’hui et ses nouveaux visages


 

Que la France d’aujourd’hui ait changé de visage, si vous avez pris connaissance de l’important dossier spécial sur La Nouvelle France proposé par Time Europe, auquel je vous renvoie, vous saurez déjà de quels nouveaux visages il s’agit. Je voudrais cependant au cours de ces quelques minutes éclairer quatre points, à savoir:

1. l’importance de la reprise économique, 

2. le problème toujours délicat des immigrés, 

3. la diversification de la population et ses conséquences,

4. le changement de visage religieux.


 

D’abord quelques chiffres. Au 1er janvier 2001, la population de la France s’élevait à 60,7 millions d’habitants avec 59 millions vivant en métropole, i.e. dans l’Hexagone même, et 1,7 million vivant dans l’un des quatre départements d’outre-mer.


 

A la fin de la deuxième guerre mondiale - vous noterez cette manière de diviser le temps - 36% de la France était agricole, aujourd'hui c’est moins de 7%. Les trois-quarts de la population habitent désormais 361 aires urbaines.Dix agglomérations comptent plus de 500 000 habitants. L’agglomération parisienne, i.e. Paris et sa couronne, rassemble un peu moins de 10 millions, et trois autres villes sont millionnaires, entendez par là qu’elles ont plus d’un million d’habitants, à savoir: l’ensemble Marseille-Aix-en-Provence, Lyon et Lille. 


 

Parlons donc d’abord -  et ce sera mon premier point - de la reprise de l’économie. Je commencerai en vous rappelant que l’expansion économique des années d’après-guerre, i.e. des années 1945 à 1975, souvent surnommées les trente glorieuses, par allusion aux trois Glorieuses de la Révolution de 1830 (27, 28 et 29 juillet 1830) avait été freinée par la soudaine augmentation du prix du pétrole, expansion qui fut suivie par une crise économique amplifiée par la récession mondiale. Cette crise avait laissé le pays, à la fin des années Mitterrand, dont le second mandat s’est achevé en 1995, dans une ambiance sociale remplie d’inquiétude et de morosité. On assiste par contre aujourd’hui à une reprise économique, qui s’inscrit dans le cadre de toutes les économies européennes, encouragées en particulier par les privatisations et la signature du traité sur l’euro.


 

A ce propos, la décision historique prise sur la monnaie unique en décembre 1989 reste une date clé pour la France et pour ses partenaires européens. Si ces mesures ont rassuré le monde des affaires et des investisseurs internationaux, cette reprise repose sur des forces économiques et industrielles robustes. Il est peut-être bon de vous rappeler que la France se place au deuxième rang comme puissance agricole et qu’elle est le quatrième exportateur mondial. Elle est aussi un leader dans le domaine des transports et de l’aérospatiale. Voyez, par exemple, le succès d’Air France, qui est en train de faire de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, l’un des principaux centres aériens - ce que nous appelons en anglais “hub” ? de l’Europe.


 

“La France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées,” est un de ces bons mots mis dans la bouche de l’ancien président français, Valéry Giscard d’Estaing. Elle détient par ailleurs la plus haute densité d'énergie nucléaire installée dans le monde et les trois-quart de son énergie provient en fait du nucléaire.


 

En 1999, la bourse de Paris avait atteint des records historiques, et la croissance économique a dépassé 4% en l’an 2000. Le retour à la croissance a eu des effets bénéfiques sur l’opinion publique. Ainsi, au pessimisme des années 90 a cédé la place à l’optimisme et à la confiance. L’avenir nous dira si les ratés récentes de la Wall Street et les craintes d’une récession mondiale changeront cette vision optimiste des choses.


 

C’est essentiellement dans le domaine de l’emploi que la reprise économique s’est fait sentir. Lorsque Lionel Jospin a pris la tête du gouvernement en 1997, le chômage avait atteint un taux de plus de 12% et frappait toutes les catégories professionnelles, depuis les ouvriers non qualifiés, surtout des travailleurs immigrés, jusqu’aux cadres. Celui-ci était deux fois plus élevé chez les moins de 25 ans que dans le reste de la population et comptait plus de femmes que d’hommes. Ainsi, pour utiliser le parler politiquement correct, 34% des demandeurs d’emploi (entendez des chômeurs) étaient des femmes et 28% des hommes. Trop nombreux étaient également les chômeurs à longue durée. De plus, le nombre de SDF (encore un autre terme du langage PC, pour ne pas dire clochards et sans abri) était estimé à quelque 250.000 personnes. En 1994, le gouvernement avait déjà essayé d’encourager l’embauche des jeunes en instaurant pour les moins de 25 ans un contrat d’insertion professionnelle assorti d’un salaire inférieur au SMIC (i.e. salaire mininum interprofessionel garanti - l’équivalent de notre minimum wage, qui est actuellement de 42 francs et quelques centimes), projet qui devait échouer face aux manifestations des jeunes. 


 

Par la suite, le gouvernement a mis en place deux mesures destinées à relancer l’emploi. D’une part, il a accordé des primes supplémentaires aux employeurs qui embauchaient des jeunes en difficulté. Bien qu’une telle mesure ait aussi été controversée, elle a néanmoins permis jusqu’ici à 350.000 jeunes de trouver un emploi subventionné par l’Etat. D’autre part, la semaine des 35 heures, succèdant à celle des 39 heures, a finalement été mise en place. Elle fait encore beaucoup de mécontents, surtout dans les PME, i.e. les petites et moyennes entreprises, dans la restauration en particulier, où les patrons se voient contraints d’engager du personnel supplémentaire, dont la rénumération s’ajoute aux lourdes taxes qu’il doivent déjà payer sur les salaires des employés, ce qui diminue d’autant leurs bénéfices. Au sein du parti socialiste, on admet aujourd’hui que la semaine des 35 heures et les emplois-jeunes, avaient avant tout pour objectif de soigner la dépression collective et de montrer que la France pouvait continuer à être compétitive, tout en continuant une politique sociale tout à fait dans la ligne d’un gouvernement socialiste. 


 

Il n’empêche que le travail au noir, ou, comme on dit dans la langue des jeunes, au black, i.e. sans être déclaré, reste encore important. On estime qu’environ 5% de la production intérieure brut, ce qu’on appelle le PIB, résulte du travail clandestin. La France est l’un des pays d’Europe où les impôts sont les plus élevés. Ainsi, les prélèvements obligatoires représentent 45,3% du PIB. C’est aussi le pays où le secteur public, constamment paralysé par les grèves, est le plus pléthorique. La proportion vous paraîtra énorme: une personnes sur quatre travaille pour la fonction publique, c’est-à-dire qu’elle est fonctionnaire. 


 

Un point important à noter est la féminisation du monde du travail: on compte aujourd’hui en France 85 femmes actives pour 100 hommes. En politique, où la sous-représentation féminine plaçait la France au 59ème rang mondial, les femmes rattrappent aujourd’hui leur retard. Ainsi, elles occupent aujourd’hui, ou ont occupé à un moment ou à l’autre, des fonctions importantes dans le cabinet Jospin, telle que ministre de l’environnement, ministre de l’emploi et de la solidarité, ou encore secrétaire d’état aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l’artisanat (Voir à ce propos “Un siècle d’émancipation de la femme”). De plus, la loi du 6 juin 2000 sur la parité assure aux femmes l’égal accès aux fonctions électives. Ajoutons que cette loi avait nécessité avant sa promulgation une révision de deux articles de la Constitution. Elle oblige désormais les partis politiques à présenter sur leurs listes, dans les communes de plus de 3500 habitants, à une unité près, autant de candidates que de candidats. 


 

Cette féminisation du travail se reflète jusque dans la langue. Le féminin des noms de professions, longtemps fermées aux hommes, entre non seulement dans le langage courant - il y a longtemps que les étudiants disent “la prof” et non pas “Madame le Professeur”, comme l’exigeait l’Académie Française. Ainsi, l’on dit aujourd’hui Madame la Ministre, la commissaire, la gendarme. On notera cependant, qu’à la différence du français du Québec, le français hexagonal ne fémininise pas des mots tel qu’écrivain, ingénieur ou professeur. On notera aussi le nombre de nouveaux anglicismes relatifs au travail et à la nouvelle économie, les e-businesses, business-plans, start-ups (que certains traduisent par jeunes pousses) et l’incontournable mail (pour e-mail) au lieu du mél (pour messagerie électronique) ou du terme courriel, régulièrement utilisé au Québec. (Je vous renvoie pour tout ceci au “français qui se cause”.)


 

Depuis le début de l’année (janvier 2001), le chômage est tombé à 9,2%, et cette nouvelle économie continue à créer de nouveaux emplois. Que j’insère ici un mot sur l’importance du tourisme, qui représente un apport significatif à l´économie. La France, qui est depuis longtemps la première destination touristique du monde, a accueilli l’an dernier, année du millénaire, 75 millions de visiteurs. A titre de comparaison, ce chiffre était de 48,5 millions pour l’Espagne et de 53 millions pour les Etats-Unis. Et parmi les touristes accueillis par la France en l’an 2000, on comptait 10% de plus d’Américains que d’habitude. 


 
 

Deuxième point: le changement de visage de la France dûe à l’immigration, une question délicate en Europe surtout depuis l’ouverture des frontières à l’intérieur des pays de l’Union européenne. Depuis 1993 les marchandises mais aussi les personnes peuvent circuler librement. Par exemple, un Français peut voyager dans un autre pays de l'Union sans son passeport mais peut aussi y travailler, parce qu'il n'est plus seulement un citoyen de la France mais de l'Union européenne.


 

En 1999, lors du recensement, la France comptait 3,26 millions d’étrangers et 4,3 millions d’immigrés, une part d’entre eux ayant acquis la nationalité française. De 1990 à 1999, le nombre d’immigrés a augmenté de 3 %, c’est-à-dire dans les mêmes proportions que l’ensemble de la population. Du fait des naturalisations, le nombre d’étrangers de plus de 18 ans est resté pratiquement stable. Plus que le nombre, c’est la composition de cette population qui s’est modifiée. L’immigration des années cinquante, soixante ou soixante-dix était, pour une bonne part, composée d’Italiens, d’Espagnols, de Portugais et de ressortissants des pays d’Afrique du Nord. En 1999, trois groupes comptent environ 500 000 ressortissants : les Portugais, les Algériens et les Marocains. Viennent ensuite les Turcs, les Italiens, les Espagnols et les Tunisiens, ainsi que l’ensemble des pays d’Afrique noire. En termes d’immigrés, l’Italie et l’Espagne sont davantage représentées, mais une grande partie d’entre eux ont acquis la nationalité française. Dans les années quatre-vingt-dix, l’apport en provenance des pays de l’Union européenne s’est réduit, même si, avec l’ouverture des frontières, nombre de ressortissants des pays de l’Union viennent en France passer quelques années. Ce sont en majorité des originaires des pays d’Afrique noire, de Turquie ou de pays d’Asie qui sont arrivés en France, souvent dans le cadre d’une demande d’asile ou d’un regroupement familial.


 

Ces immigrés étaient arrivés en masse durant l’expansion économique des trente glorieuses, à un moment où la France avait besoin de main d’oeuvre, notamment dans le secteur industriel. A l’époque, le pays jouissait d’une augmentation générale du niveau de vie qui rapprochait la classe ouvrière et la petite bourgeoisie, et qui allait mener au genre de société de consommation que nous connaissons si bien aux Etats-Unis, quoique la France, à la différence de l’Amérique, est-ce en raison de ses racines paysannes? ne soit toujours pas une civilisation du jetable. 
 


On assistait également à un embourgeoisement progressif - au sens noble du terme - du centre ville, amené par la rénovation des immeubles historiques, laquelle attirait les milieux aisés, alors que le nouveau prolétariat - comprenez les classes les plus pauvres et les plus démunies - composé en grande partie d’immigrés se voyaient déplacés vers la banlieue.

 

La majorité de cette population est concentrée dans les banlieues et les grands centres urbains comme Lyon ou Marseille. Ces regroupements ont entraîné la création d'enclaves qui ressemblent beaucoup à des ghettos. Les banlieues ouvrières à forte composante immigrée ont engendré une culture spécifique, où coexistent des aspects négatifs - chômage, pauvreté, criminalité et drogue - “La Haine” de Mathieu Kassovitz, un film que j’ai mis au programme de ce cours, en est une illustration poignante - et d'autres aspects plus positifs, en particulier un bouillonnement créatif qui a produit une foule d'artistes populaires dans le hip-hop, le raï et le rap, qui a donné naissance à des cinéastes talentueux et à une manière de s'habiller et de parler très m'as-tu-vu, une chose qui influence aujourd’hui l'ensemble de la jeunesse française. (Je vous renvoie ici de nouveau au texte du “français qui se cause”.)


 

Ajoutons que lorsqu’il s’agit des immigrés, les médias rapportent surtout les crimes et la violence - une chose qu’illustre bien Kassovitz dans son film - autant que la xénophobie qui en résulte. Ce que les médias ne soulignent pas suffisamment, parce que beaucoup de ces gens-là sont “sans histoires”, c’est que nombre d’immigrés s’intègrent bien à la société, surtout les Européens qui ont un mode de vie et de culture peu différent de celui des Français, et sont facilement acceptés par leurs voisins. Or il en va de même pour beaucoup d’autres, dont le travail est une contribution importante à l’économie du pays. Regardez vivre la France d’aujourd’hui, par exemple à Paris, et comptez le nombre de Maghrébins qui tiennent des magasins d’alimentation dans les quartiers résidentiels.


 
 

Troisième point dont j’aimerais vous entretenir: la diversification de la population et ses conséquences. Il y a cinq décennies, plus d’un tiers de la France était agricole, aujourd'hui c’est moins de 7%, vous disais-je en commençant. Je suis moi-même fils de paysans, depuis combien de générations? Mon nom lui-même, emprunté au francique “varon”, veut dire gardien, gardien de bêtes sans aucun doute. Je l’ai dit ailleurs sur un ton amusé, et vous pourrez le lire à loisir (Cf. “Parenté de l’héritage langagier” ) La Fontaine, l’auteur des célèbres fables, dans “Le gland et la citrouille”, se moque du naïf paysan, du nom de Garo précisément, qui aurait mieux fait d’écouter les conseils de son curé, plutôt que d’imaginer des citrouilles qui pendraient aux arbres comme le font les glands. Plus sérieusement, mon jeune frère a dû abandonner il y a quelques années “veaux, vaches, cochons” et toute la ferme familiale dont il avait pris la relève à la mort de mon père pour devenir “agent de conditionnement”, comprenez ouvrier d’usine dans une entreprise de produits d’alimentation.

On constate également un vieillissement de la population. Aujourd’hui un habitant sur cinq a plus de 60 ans. C’est là un phénomène européen: un rapport de l’Institut Suédois des Études sur le Futur indique que la population du vieux continent ne représentera plus que 7% de la population mondiale en 2050, contre 13% actuellement, et que ce déclin aura de graves conséquences sur la croissance économique. 


 

On notera cependant que pour l’année 2000, le taux des naissances en France a été le plus élevé de l’union européenne. De même que le nombre des mariages en 2000 a augmenté de 6,6% malgré la popularité du PACS, comprenez Pacte civil de solidarité, qui permet depuis novembre 1999 à deux personnes majeures, non mariés et sans lien de parenté, d’organiser leur vie commune. En septembre 2000, près de 23000 PACS avaient déjà été conclus. 


 

Le nombre de mariage a augmenté, disais-je, malgré la popularité de ce qu’on appelait autrefois le concubinage. Ce terme de la langue administrative semble disparaître du parler quotidien. “Tel et telle se sont mis en ménage” est l’expression que j’entends le plus souvent. Résultat: un enfant sur quatre naît de parents qui ne sont pas mariés. 


 
 

Que je dise un mot enfin, ce sera mon dernier point, du changement de visage religieux. Dans une France où l’église catholique a très largement façonné le paysage -  l’église avec son clocher au milieu du bourg - donnant le nom à tant de localités avec des appellations de saints: Saint-Martin, Saint-Michel, ou encore Saint-Marsault, la commune où je suis né, dans une France où l’on comptait, à une époque que j’ai connue, 34595 paroisses catholiques pour un total de 36564 communes, ce nombre est aujourd'hui tombé à exactement 19462 paroisses. 


 

Si le catholicisme est toujours la religion majoritaire, à près de 80%, mais dont plus des deux-tiers sont non-pratiquants, de fortes migrations et un taux de natalité élevé ont fait de l'islam la deuxième religion en France, remplaçant donc le protestantisme. Les protestants, qui ont toujours été minoritaires, ne représentent qu’aujourd’hui 1,7% tandis que les musulmans représentent plus de 6%, divisés entre intégristes et islamiques séculaires. On compte également environ 600.000 juifs et le même nombre de bouddhistes, ainsi que 16% de personnes qui se disent sans religion.


 

Devrais-je aussi vous esquisser le visage de la France de demain? Il me suffira pour l’instant de vous renvoyer à quelques liens hypertextes. A tout seigneur, tout honneur: d’abord à l’internet lui-même, un domaine où la France est en train de rattraper son retard, ou encore à cette autre illustration futuriste, intitulée Neuf lieux où demain s’écrit aujourd’hui


 

Je terminerai ce bref panorama des nouveaux visages de la France en vous renvoyant à un autre lien, où vous trouverez un texte que j’ai intitulé, Le point de vue d’un journaliste américain. Comparant la civilisation américaine à celle de la France et leurs deux conceptions de la vie moderne, - l'américaine, libre, violente, dévoratrice du passé ; la française ordonnée, cérémonieuse, respectueuse de l'histoire,il a ces mots, pour certains peut-être, surprenants: “La civilisation ordinaire de la France demeure la plus remarquable de nos deux continents, et c'est une civilisation de la vie quotidienne, exprimée dans la manière d'être. N'est-ce pas mieux qu'une “culture nationale” qui s'exprimerait par la puissance brute?”